Le marché des quotas de CO2 de l'Union européenne est le principal outil politique de l’UE pour atteindre ces objectifs climatiques. Plus le nombre de secteurs couverts par le marché des quotas est grand, plus la réduction des émissions de CO2 qu’il entraîne est importante.
Dans ce contexte, la commission européenne a décidé d’étendre le scope de cette régulation en 2024 , afin d’ inclure le transport maritime.
Désormais les transporteurs devront réaliser un suivi précis de leur émissions de CO2 et posséder une quotas carbone pour chaque tonne de CO2 émises
Retour sur le fonctionnement du marché des permis carbone de l’UE avant l'inclusion du fret maritime
Définition du marché des permis carbone européens
Les système d’échange de quotas d’émissions de l’UE est un marché reposant sur mécanisme de plafond et d’échange afin de réduire les émissions de CO2 des États membres.
Chaque année l'Europe définit un plafond de quantité de CO2 qui puisse être émis pat les industries soumises aux marchés des quotas. Les industriels soumis doivent acheter un quota sur le marché pour chaque tonnes de CO2 qu’ils émettent, s'ils ne respectent pas cette règle les entreprises reçoivent de lourdes amendes. l’UE diminue progressivement le plafond, l'offre diminue, les prix augmentent, ainsi les les industries sont incitées à décarboner leur processus plutôt qu'à payer des quotas de plus en plus en cher.
Les secteurs couverts par le marché des permis carbone européens en 2024 avant l’ajout du transport maritime sont:
- Production d'électricité et de chaleur ;
- Secteurs industriels à forte consommation d'énergie, notamment les raffineries de pétrole, les aciéries, la production de fer, d'aluminium, de ciment, de chaux, de verre, de céramique, de pâte à papier, de papier, de carton, d'acides et de produits chimiques organiques etc…,
- Vols au sein de l'Espace économique européen et vols à destination de la Suisse et du Royaume-Uni.
L’extension du marché des quotas de CO2 au transport maritime: explications
Pourquoi étendre le marché des quotas de CO2 de l’UE au transport maritime en 2024?
La transport maritime représente 2,8% des émissions de gaz à effet de serre à l’échelle mondiale, et 3à 4ù%à l’échelle de l’UE. En 2022 l’empreinte carbone du secteur a augmenté de 5% par rapport à 2021 dépassant les niveaux pré-covid. Cette augmentation est le résultat de l'utilisation de carburant fossiles très émetteurs. Malgré l’existence de technologies présentant un potentiel important de réductions le résultat n’y est pas, faute de véritables incitations gouvernementales.
Qui est visé par l'extension du marché des quotas aux fret maritime ?
La réforme du marché des quotas de CO2 s'appliquera aux transports de marchandises et de passagers, pour tous les bateaux dépassant une jauge brute 5000 GT(gross tonnage). Puis le marché s'étendra également pour couvrir les bateaux dits “offshores” dont le rôle est de mener des travaux en haute mer et ce à partir de 2027. La Commission européenne décrit l'extension comme étant « neutre au pavillon et basée sur l'itinéraire ». Cela signifie qu'elle couvre :
- Toutes les émissions des navires au départ et à l'arrivée d'un port d'un État membre de l'UE ;
- Toutes les émissions des navires rejetées pendant leur séjour dans un port d'un État membre de l'UE ;
- 50 % des émissions des navires effectuant des voyages au départ d'un port d'un État membre de l'UE et arrivant dans un port hors de la juridiction de l'UE, et vice-versa (par exemple Rotterdam-Shanghai ou Shanghai-Rotterdam).
Quel est l'impact de l’extension du marché des quotas de CO2 au transport maritime?
Le marché des quotas de CO2 pour le transport maritime va contribuer à réduire les émissions de gaz à effet de serre
En 2018 les émissions du secteur du transport maritime se sont élevées à 1076 millions de tonnes de CO2, et l'organisation maritime internationale estime que ces émissions pourraient augmenter de 130% d’ici 2050. Cela menace sérieusement l’ambition de neutralité carbone de l’UE. Pour limiter l’intensité carbone et afin d’atteindre les objectifs de “fit for 55”( -65% d’émissions des installations soumises au système des quotas) les armateurs devront acheter des quotas correspondant à
- 40 % de leurs émissions de 2024 ;
- 70 % de leurs émissions de 2025 ;
- 100 % de leurs émissions par la suite.
Quel coût pour les armateurs ?
Comme expliqué ici, le coût annuel des quotas pour les armateurs devrait s'élever à 10 milliards d'euros, lorsque le système couvrira 100 % des émissions du secteur. D’après des représentants de Maersk, Hapag-Lloyd et CMA-CGM estiment que l’application du système des quotas au transport maritime va représenter un surcoût de l'ordre de 7 à 105 euros par TEU, un TEU est une unité de capacité de fret basée sur le volume d'un conteneur intermodal de 20 pieds de long 6,1 m.
Le consommateur en bout de chaîne ne sera pas impacté par l’inclusion du transport maritime dans le système de quotas de CO2.
En prenant en compte les quantités considérables de biens que peuvent transporter tous les bateaux, l’impact financier des quotas sur les prix des produits unitaires est négligeable. Pour vous donner, quelques ordres de grandeur un bateau “moyen” a un volume de 8000 TEU, avec chaque container pouvant transporter 20 tonnes de produit. Un tel vaisseau brûle environ 225 tonnes de fioul par jour, une tonne de fioul coûtant 900 euros. Chaque tonne de fioul émet 3,11 tonnes de CO2. Ainsi, pour un voyage Rotterdam-Athènes, le coût du fioul par tonne de marchandise est de 16.45€, si on considère qu'un quotas carbone vaut 80 € le surcoût par tonne de transport revient à 4,38€.
Ainsi, le surcoût des quotas sur une paire chaussures s'élèverait ainsi à 0,02€ .
Quelles sont les règles du système d’échange de quotas de CO2 pour le transport maritime?
Comprendre le processus de déclaration et de vérification du système d'échange de quotas d'émission de l'UE pour le fret maritime
- Pour simplifier les processus, chaque compagnie maritime est "rattachée" à un seul État membre de l'UE. Elle ne peut avoir d'obligations de conformité que dans une seule juridiction (même si c'est une société internationale).
- Chaque opérateur maritime doit ouvrir un compte au registre de l'Union - on peut le voir comme une "banque" ou un compte permettant aux transporteurs d'acheter et de stocker leurs quotas d'émission de carbone.
- Les entreprises doivent soumettre leur "plan de surveillance" aux autorités avant le 1er avril 2024. Ce plan explique comment elles comptabilisent le CO2 produit par leur activité.
- À partir du 1er janvier 2024, les transporteurs doivent commencer à surveiller leurs émissions de carbone.
- Ces chiffres doivent être confirmés par des vérificateurs accrédités.
- Ensuite, la compagnie maritime est responsable de l'achat de quotas correspondant aux émissions de ses navires.
- Les entreprises qui ne respectent pas leurs obligations devront payer 100 € par tonne d'équivalent CO2 et devront en plus rendre les quotas exigés. Après 2 ans de non-conformité, un ordre d'exclusion peut être émis (chaque État membre de l'UE est tenu de refuser l'entrée aux navires).
Le marché des quotas de CO2 pour le transport maritime, perspectives et débats
Quelles sont les critiques à opposer à l'extension du système des quotas de CO2 au secteur du fret maritime ?
Les représentants de l'industrie ont formulé plusieurs critiques, notamment en matière de logistique. Ils s'opposent aux logiciels et plateformes obsolètes et peu intuitifs utilisés pour ouvrir un compte au registre. D'autres mentionnent le manque de clarté pour les grandes entreprises lorsqu'il s'agit de faire correspondre les émissions de leurs différents navires à différents numéros de compte (et ensuite de les faire correspondre aux quotas d'émission restitués). Enfin, le fait que seul un groupe très restreint de représentants de l'entreprise puisse accéder au registre de l'Union (pour des raisons de sécurité) est également considéré comme un fardeau par certains opérateurs maritimes.
La lumière au bout du tunnel pour les quotas de CO2 dans le transport maritime
En réponse aux préoccupations mentionnées ci-dessus, de nombreuses ONG, consultants et représentants des institutions européennes se sont mobilisés pour défendre la mise en œuvre de l'extension du système d'échange de quotas d'émission de l'UE au secteur du transport maritime. Par exemple, Gorrissen Federspiel prend le temps d'expliquer les termes complexes de cette nouvelle réglementation. De son côté, la Direction des Pêches Maritimes et de l'Aquaculture du gouvernement français a organisé plusieurs webinaires pour contribuer à une transition en douceur vers l'élargissement du champ d'application du système d'échange de quotas d'émission de l'UE.
Sources:
Eurostat, 2023. Glossary: European Economic Area
The European Comission, 2023. FAQ – Maritime transport in EU Emissions Trading System (ETS)
The European Commission, 2023. Reducing emissions from aviation
The European Commission, 2023. Reducing emissions from the shipping sector
European Parliament News, 2023. Fir for 55: Parliament adopts key laws to reach 2030 climate target
Gorrissen Federspiel, 2023. EU ETS Implementation - all things clarified?
ICAP, 2024. EU extends its ETS to the maritime sector
IEA, 2023. International Shipping
IMO, 2020. Fourth Greenhouse Gas Study 2020
Secrétariat chargé de la mer, 2024. Marché carbone européen (ETS) - transport maritime
Social Europe, 2023. Maritime needs stronger wind to cut its emissions
Transport Environment, 2023. Loopholes in EU shipping proposals risk undermining green shipping projects
Zero 44, 2023. EU ETS for maritime – 5 main problems with the EU Union Registry
UNCTAD, 2022. Roadmap to decarbonize the shipping sector