Quels sont les facteurs qui influencent le prix du carbone en Europe
Ce qu’on appelle le “prix du carbone” est en fait le cours de marché d’un quota d’émission européen, ou EUA pour European Union Allowance.
Un quota d’émission est l’unité d’échange du Système d’Echange des Quotas d’Emission de l’Union Européenne (SEQE-UE). C’est un actif financier négociable, transmissible, à validité illimitée, qui a permit à l’Europe d’attribuer un prix de marché aux émissions de gaz à effet de serre. Ce principe est le pilier de la décarbonation européenne et une des meilleures incarnations de la finance durable: un EUA est une construction politique adossée à un mécanisme de marché ayant pour objectif la décarbonation industrielle.
La valeur d’un quota est donc déterminée par le marché: c’est le point d’équilibre entre l’offre et la demande. En effet, les quotas s’échangent sur un marché organisé, sur lequel le volume quotidien est de l'ordre de 4 milliards d’euros. Il s’apparente donc à un actif côté, un peu comme les actions.
Le prix de la tonne de carbone sur le marché européen (EU ETS) a augmenté en moyenne de 25 % par an au cours des dix dernières années: Il est passé d' environ 6,85 € fin 2014 à plus de 66 € fin 2024. Vous pouvez suivre le prix “spot” de l’EUA en temps réel ici.
Les facteurs contribuant à la formation du prix sont nombreux, à l’intersection entre finance, économie, climat, technologie, géopolitique, et réglementation européenne. Par ailleurs, de nombreuses évolutions ont eu lieu depuis la mise en place du marché en 2005. Aussi, les facteurs déterminant le prix du carbone n’ont pas toujours été les mêmes au cours de son histoire.
Dans cet article, nous verrons:
- Pourquoi le prix a baissé au cours des derniers mois ?
- Quelles ont été les principales évolutions du prix de la tonne de carbone sur le marché européen jusqu'à présent ?
- Quelles sont les prévisions de prix pour 2025 ?
- Comment décrypter les mouvements du prix carbone, et comment anticiper ses évolutions futures ?
Homaio répond à toutes vos interrogations concernant le prix du carbone en 2024, à l’approche de 2025.
Facteurs déterminants du prix de la tonne de CO2 en Europe
Le prix du carbone dans l’Union Européenne (UE) est déterminé par le marché. C’est donc dans l’équilibre entre l’offre et la demande que la clef de lecture du prix est à chercher.
Côté offre, c’est assez simple : elle est plafonnée par la Commission européenne et suit une trajectoire décroissante. On dit que c’est un actif déflationniste.
Côté demande, les industries assujetties ont l’obligation d’acheter un nombre de quotas équivalent à leurs émissions. Plus elles émettent, plus elles achètent, et inversement. Cette fois ci toutefois, comprendre leurs émissions demande de faire quelques détours. Fondamentalement, la demande en EUA est directement liée à la quantité physique de matière fossile qui est brûlée. C’est à dire que plus on brûle des tonnes de charbon, des mètre cubes de gaz, et des barils de pétrole, plus la demande en EUA est forte. Tout ce qui va venir augmenter cette demande va soutenir l’appréciation du prix. Inversement, tout ce qui va diminuer cette demande va venir diminuer le prix.
Les marchés de l'énergie et l’EU ETS
Fondamentalement, la demande en EUA est directement liée à la quantité physique de matière fossile qui est brûlée. C’est à dire que plus on brûle des tonnes de charbon, des mètre cubes de gaz, et des barils de pétrole, plus la demande en EUA est forte. Tout ce qui va venir augmenter cette demande va soutenir l’appréciation du prix. Inversement, tout ce qui va diminuer cette demande va venir diminuer le prix.
Le prix du carbone et le mix énergétique
Les marchés de l’énergie, et plus spécifiquement le prix des matières premières énergétiques, est important car il joue sur le mix énergétique, c'est-à-dire le mode de production énergétique qui va être favorisé. A son tour, cela va entraîner une hausse ou une baisse de la demande. Quelques exemples :
- S’il y a une forte production électrique décarbonée grâce à un niveau d’ensoleillement élevé (photovoltaïque) ou beaucoup de vent (éolien), alors la production carbonée est moins importante, et la demande en EUA baisse.
- Si la France met à l’arrêt ses réacteurs nucléaires (maintenance, grèves…) alors elle a besoin, pour compenser, d’acheter de l’énergie carbonée allemande et donc la demande en EUA augmente.
- Si la production hydroélectrique est en baisse à cause de la sécheresse, alors la production carbonée augmente, et donc la demande en EUA.
Le mix énergétique change en permanence en fonction des conditions climatiques, de l’état des infrastructures, des politiques publiques, et ainsi de suite. Ces facteurs sont sans cesse scrutés par les marchés, et le prix des EUA évolue en fonction.
La demande en quotas carbone liée à la consommation énergétique.
Au-delà du mix énergétique (comment est produite l'énergie), la consommation énergétique (quelle quantité d’énergie est consommée) est tout aussi importante pour comprendre la demande en EUA.
Du côté des entreprises, plus la production industrielle est élevée, plus leurs émissions sont importantes, et plus la demande en EUA est forte.
Du côté des ménages, plus cette consommation est importante, plus les énergéticiens sont sollicités, et plus les émissions liées à la production énergétique sont importantes.
La décarbonation rapide et massive de la production électrique sur les dernières années permet de tempérer cet effet. Toutefois, lors des vagues de froid ou des canicules, on observe une augmentation de la consommation énergétique pour climatiser / chauffer, ce qui entraîne une hausse de la demande des quotas et donc une hausse de leur prix.
Prix de la tonne de carbone et prix des matières premières énergétiques
Le prix des matières premières énergétique modifie le mix énergétique des industriels. Par exemple, si le prix du gaz augmente, alors les industriels peuvent se déporter vers le charbon. Or, le charbon est deux fois plus émissif que le gaz pour une quantité d'énergie donné. Dès lors, plus le prix du gaz augmente, plus les industries vont se déporter vers le charbon, émettant deux fois plus de CO2 pour une production équivalente, et donc nécessitant deux fois plus de quotas.
En synthèse, le prix des quotas carbone de choix industriels en matière de sources d'énergie primaire. Ces choix sont faits en fonction des niveaux de prix. Ainsi, le prix des quotas carbone est influencé par les niveaux de prix sur ces marchés énergétiques.
Les coûts d’abattement et l’EU ETS
Le prix des quotas d’émission est une valeur d’arbitrage entre décarbonner son activité ou continuer à émettre du CO2. En effet, plus les quotas sont chers, plus les industries sont incitées à décarboner s’extraire de cette obligation et éviter ce coût supplémentaire.
L’arbitrage est donc d’acheter des quotas à x euros par tonne, ou de décarboner à y euro par tonne. C’est ce qu’on appelle le coût d’abattement marginal : le coût pour une industrie de décarbonner sa production rapporté au nombre de tonnes.
Par exemple, si une industrie émet 10.000 tonnes de CO2 par an, mais peut diminuer ces émissions de 6.000 tonnes par an en investissant 5 millions d’euros, alors le coût d’abattement marginal serait de 5 millions / 600 = 830 euros par tonne de CO2. Et peut être que pour réduire les 4.000 tonnes restantes, il faudrait investir encore plus.
Si le prix des quotas est inférieur à 830 euros, l’industrie en question n’aurait aucun intérêt à investir dans la décarbonation. En revanche, si le prix des quotas augmente et dépasse le coût d’abattement, alors cet investissement devient compétitif.
Certaines entreprises n’hésitent pas à mettre en place un prix interne du carbone, ceci afin d’anticiper les régulations futures et intégrer les coûts liés à l’environnement dans leurs décisions d’investissement.
Le coût des technologies pour la décarbonation
Le coût et la disponibilité des solutions et technologies de décarbonation a donc un impact sur la demande et sur le prix. Plus des solutions sont disponibles à un coût par tonne proche du prix du carbone, plus elles peuvent être implémentées, et donc réduire la demande.
Évidemment, une solution de décarbonation suppose des investissements importants et un délai de mise en œuvre qui peut être long. Dès lors, les entreprises doivent anticiper les coûts futurs pour ne pas être prises au dépourvu par une hausse rapide des prix.
Certaines entreprises n’hésitent pas à mettre en place un prix interne du carbone, ceci afin d’anticiper les régulations futures et intégrer les coûts des émissions dans leurs décisions d’investissement.
Conditions météorologiques et fluctuations du prix du carbone
Les conditions météorologiques ont un impact direct sur le mix énergétique et la consommation énergétique. Ce sont donc des facteurs importants à suivre et anticiper. D’eux dépendent la production solaire et éolienne, mais aussi la production hydroélectrique. Ils impactent également le besoin en chauffage et climatisation.
Lors des vagues de froid en hiver, la consommation d'énergie et de chauffage augmente considérablement. Ceci entraîne une hausse des gaz à effet de serre (GES) et donc corrélativement un pic de demande de quotas d'émission de CO2. Par conséquent, pendant les périodes froides, l'augmentation des achats d’EUA peut faire grimper leur prix.
Inversement, un temps plus chaud tend à réduire les émissions de CO2 et la demande de quotas, ce qui peut entraîner une baisse des prix du CO2 sur le marché. En été, l'effet inverse est observé : pendant les vagues de chaleur, la climatisation des bâtiments consomme davantage, ce qui pousse les prix à la hausse.
On voit donc que le marché des quotas d’émission européen est un marché profondément dépendant du monde naturel, qui fluctue en fonction de quantités physiques comme la température, la pluviométrie, ou la force des vents.
Ambitions climatiques de l'UE et impact sur l'offre
Enfin, les objectifs climatiques de l’Union européenne influencent le prix des quotas. Le système de tarification carbone européen reste un outil politique, adossé à un mécanisme de marché pour fixer le prix de son unité d’échange. Dès lors, la permanence du soutien politique et la stabilité des règles de marché sont fondamentales pour organiser l’appréciation progressive du prix.
A l’inverse des facteurs précédents, le facteur réglementaire est un facteur du côté de l’offre, et a un impact sur la trajectoire à long terme.
Nécessité de prix élevés du carbone pour atteindre les objectifs climatiques de l'UE
Les marchés du carbone (EU ETS) constituent le principal instrument politique de lutte contre le changement climatique : ils sont conçus pour atteindre les objectifs climatiques fixés par la Commission européenne.
Pour fonctionner, l’offre réduit progressivement afin que le prix du carbone augmente et incite les industries assujetties à décarbonner. C’est donc un actif déflationniste avec une trajectoire de l’offre connue et prévisible.
Le prix est la valeur d’arbitrage : c’est un signal fort pour les industries pour savoir à quel moment et à quel rythme ils doivent décarboner leurs activités pour rester compétitif.
Les régulateurs européens organisent l'augmentation du prix
Plus l'UE souhaite que l'économie se transforme rapidement, plus elle accélère la diminution de l'offre de quotas, augmentant ainsi les prix dans l’intérêt du climat.
Ainsi, le taux de réduction de l’offre a été relevé plusieurs fois au cours des dernières années. S’il est de 4.3% par an actuellement, il était initialement de 1.74% par an lors du lancement du marché en 2005. Ce taux s’appelle le facteur linéaire de réduction, ou LRF pour Linear Reduction Factor.
Instauration du MACF
Le Mécanisme d’ajustement carbone aux frontières (MACF), qui est entré en vigueur dans sa phase transitoire en 2023, est une mesure européenne conçue pour lutter contre les fuites de carbone. Ce phénomène se produit lorsque des entreprises sont délocalisées vers des pays où les régulations environnementales sont moins strictes, afin d'éviter les coûts élevés liés aux émissions de carbone dans l'UE.
Le MACF vise à remédier à ce problème en imposant une taxe sur certaines importations provenant de pays hors de l’UE. Les secteurs particulièrement concernés incluent l'acier, le ciment, l'aluminium, les engrais et l'électricité. En intégrant ces importations dans le SEQE, le MACF garantit que les produits importés soient soumis aux mêmes règles de tarification du carbone que ceux produits dans l'UE. C'est une forme de projection extra-territoriale du marché carbone européen, pour protéger les industries européennes et s'assurer que tous les acteurs ont des contraintes similaires.
Réformes de marché
D'autres réformes ont eu lieu pour soutenir une appréciation progressive du prix. Par exemple, le périmètres des industries assujetties ne cesse de s'étendre, créant une demande supplémentaire sur le marché. Un autre exemple est la fin des allocations gratuites : un héritage historique du marché qui permettait de protéger certaines industries du prix du carbone, mais qui n'a plus lieu d'être maintenant que le MACF est en vigueur.
Conclusion
Comprendre le prix du carbone européen, c'est comprendre les éléments constitutifs de l'équilibre fondamental entre l'offre et la demande. L'offre est fixée par le régulateur sur des temps long et prévisibles: c'est elle qui entraîne une croissance progressive du prix. La demande dépend de plein de facteurs dont les composantes énergétique (prix, mix, demande), de la météo, de la situation macroéconomique dont notamment la production industrielle, ou des situations géopolitiques qui peuvent tendre les chaines d’approvisionnement. D'autres facteurs encore peuvent jouer un rôle: les taux directeur par exemple ont un impact sur les décisions d'investissement des entreprises, et donc sur la mise en place de solutions de décarbonation ou d'infrastructures durables !